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ETAT DES LIEUX

Mode et climat, comment baisser l’impact carbone de l’industrie de la mode ?

Les marques de prêt à porter pèsent lourd dans le problème du climat. Alors qu'elles redoublent d'efforts pour prendre en compte le climat et l'environnement tout reste à faire pour diminuer l'impact carbone des vêtements. Tour d'horizon, ordre de grandeur et techniques industrielles pour décarboner l'industrie textile avec KLIMA School et la marque de prêt à porter Azala.

Temps de lecture 7 mins - Sofiane Bouhali & Joseph Hermet

Résumé

- Etat des lieux : la mode émet autant de CO2 qu’un pays du G7.
- L’énergie abondante maintient l’industrie de la mode dans un modèle linéaire axé sur la production, l’utilisation puis la destruction, efficient du point de vue des coûts et des prix, mais pas de l’environnement et du climat.
- L’industrie de la mode est victime d’un effet rebond énergétique : malgré une énergie abondante et bon marché et en dépit de la digitalisation permettant la seconde main, le taux d’utilisation des vêtements ne fait que baisser.
- Une lueur d’espoir : de nouveaux processus pour diminuer l’impact carbone de la mode sur le climat, et des industriels qui commencent leur mobilisation.
- Le recyclage des chutes et l’upcycling : de nouveaux moyens de sobriété pour réduire l’impact sur le climat de l’industrie de l’habillement.
- Réduire la production sans baisser la valeur : les nouveaux modèles d'affaires à impact de l'industrie de la mode et des vêtements.

Etat des lieux : la mode émet autant de CO2 qu’un pays du G7.

Selon une étude du cabinet de conseil Quantis acquis par BCG, l’industrie de la mode, de l’amont (production du tissu et des vêtements), à l’aval (transport, distribution), représente environ 8% des émissions globales de gaz à effet de serre en 2016, soit l’équivalent des émissions annuelles d’un pays comme la France (environ 4 million de tonnes équivalent CO2). Une autre façon de comprendre l’ordre de grandeur est de montrer que l’industrie de la mode représente les émissions du transport aérien mondial et maritime combinées chaque année

On pourrait croire que le transport et la distribution du e-commerce pèsent le plus lourd dans la balance carbone de la mode, mais il n’en est rien. En réalité, la majeure partie de l’impact provient des étapes amont de production. En effet, deux étapes simples en apparence, la préparation du fil et la teinture ou blanchiment concentrent à elles seules 28% et 36% du total des émissions équivalent carbone du secteur respectivement. Cela s’explique par l’intensité énergétique nécessaire pour chacune d’elles. Pour la teinture par exemple, il est nécessaire de monter en température et de réaliser la teinture ou blanchiment à chaud.

Ce chauffage requiert souvent l’utilisation d’énergie fossile primaire émettrice de carbone, ou d’électricité non décarbonée. Les pays producteurs que sont l’Inde, la Chine ou le Bangladesh concentrent en effet une grande partie des capacités de production mondiales et présentent un mix énergétique encore trop fortement dépendant du charbon ou du gaz naturel comme énergie primaire ou pour produire l’électricité.

L’énergie abondante maintient l’industrie de la mode dans un modèle linéaire axé sur la production, l’utilisation puis la destruction, efficient du point de vue des coûts et des prix, mais pas de l’environnement et du climat.

L’industrie de la mode opère selon un modèle quasiment exclusivement linéaire : des ressources et matières premières non renouvelables à l’échelle de temps d’une vie humaine sont extraites pour produire des vêtements qui sont utilisées pour une période de temps très courte, après laquelle ils sont pour la plupart envoyés à la décharge ou incinérés. Par ailleurs, ce modèle actuel de production de vêtements appelle à la surconsommation du fait des faibles coûts de production des matières premières et de main d'œuvre. Ces faibles coûts actuels résultent directement d’un accès abondant à l’énergie fossile (charbon, pétrole, gaz) dans la partie amont du processus de fabrication et de transport et rendent non pertinent la réutilisation des matériaux du point de vue des prix de production.

C’est ainsi que seuls 1% des matériaux utilisés pour produire des vêtements sont recyclés pour en produire d’autres. Dans la même lignée, selon la marque Azala qui produit des gammes de vêtements pour enfants upcyclées, des tissus sont perdus dans le processus de fabrication, soit une perte de 60 milliards de mètre carrés de tissus jetés chaque année avant même d’être portés (soit environ 15% à 20% des tissus produits). Ce taux de perte anormalement élevé démontre que le procédé peut être amélioré si les acteurs économiques réalisent leurs choix au-delà du facteur prix, ce qui pourrait changer en cas de restrictions à venir sur l’offre énergétique disponible. Ainsi les acheteurs responsables ou responsible supply chain manager auront leur place pour modifier leur grille de choix de fournisseurs et de matériaux en prenant de plus en plus en compte les externalités négatives de la production industrielle des vêtements tels que le coût de l’énergie ainsi que les rejets de CO2 ou autres polluants.

"60 Milliards de mètres carrés de tissus sont jetés chaque année avant même d'être portés" - Sofiane Bouhali - CEO Azala.

L’industrie de la mode est victime d’un effet rebond énergétique : malgré une énergie abondante et bon marché et en dépit de la digitalisation permettant la seconde main, le taux taux d’utilisation des vêtements ne fait que baisser.

L’accès à une énergie primaire bon marché dans les pays producteurs et la massification de la production dans ces pays ont permis de réduire fortement les coûts de production et donc les prix de vente. Mais si la part du budget des ménages consacrée à l’habillement n’a fait que chuter depuis 1960 en passant de 9% en 1960 à 3% en 2015 (calcul de l’auteur), elle n’a pas totalement intégré ces baisses de prix. Aussi, si le consommateur constate effectivement une baisse de coût en % dans son budget mensuel, les volumes globaux ont eux continué d’augmenter. C’est ce que démontre le graphique ci-dessous en image. Autrement dit, au lieu d’acheter le même t-shirt moins cher entre 2000 et 2015, un humain aura tendance à en acheter deux moins cher tout en baissant la part de l’habillement dans son budget. Ce phénomène engendre donc moins d’utilisation par article vendu et des émissions de gaz à effet de serre en explosion. 

On constate également qu’au cours des vagues de digitalisation, l’arrivée de plateformes d’échanges telles que Ebay dans les années 2000, Leboncoin en 2010 ou Vinted en 2020 n’ont rien changé à cette tendance d’augmentation des volumes produits et vendus. Là encore l’accès à davantage de vêtements en quelques clics, si elle semble séduisante en termes de prix et de seconde vie ne fait que participer à une hausse globale des volumes consommés. En effet, d'après une étude du Boston Consulting Group, 70% des utilisateurs de plateformes revendraient en seconde main afin pour augmenter leur pouvoir d’achat sur le marché de la première main malgré l’aspect RSE de la démarche d’achat en seconde main.

Une lueur d’espoir : de nouveaux processus pour diminuer l’impact carbone de la mode sur le climat, et des industriels qui commencent leur mobilisation.

Fort de ce constat, les industriels et fabricants tentent d’innover, souvent sous la contrainte de donneurs d’ordre ayant engagé une décarbonation de leurs activités. Ces derniers commencent par les mesures les plus accessibles en termes technique et budgétaire mais ne veulent sacrifier ni la qualité ni le prix de production. L’optimisation sous contrainte et la mise en place à l’échelle industrielle est alors complexe dans la plupart des cas. Néanmoins des solutions sont trouvées, par exemple, pour l’étape la plus polluante de teinture ou blanchiment, les équipes de Décathlon, en partenariat avec leurs fournisseurs asiatiques ont mis au point un procédé de teinture à froid, éliminant le besoin de monter en température.

Décathlon a pour cela nommé un responsable supply chain chargé des nouveaux procédés et des achats bas carbone. Un nouveau métier d’avenir. Autre exemple très concret à l’étape de teinture,  pour la production de la doublure intérieure grise d’une doudoune verte, un procédé innovant permet de mélanger un fil noir teint dans la masse et un fil non teint. Par rapport à un fil à la teinture classique ce procédé permet de diminuer les émissions carbone de 40% et de 66% celles de particules fines PM 2.5 ppm.

Recyclage et valorisation des chutes et vêtements utilisés : de nouvelles méthodes sobres pour limiter l'impact de la mode et des vêtements sur le climat.

Les innovations pour réduire l'impact carbone de la mode sont plurielles et couvrent toutes les étapes de la chaîne de valeur de la fabrication des fils jusqu'aux vêtements : filature, tissage, fabrication, distribution et recyclage). Comme mentionné ci-dessus, la réutilisation des matériaux de nos vêtements est au cœur des préoccupations environnementales et climatiques. En effet, la fabrication et la transformation des matériaux de base compte pour près de 80 % de l'empreinte carbone moyenne des vêtements. Ainsi, le développement de tissus à partir de matières existantes peut profondément et positivement modifier les résultats de l'industrie en terme d'émissions carbone. L'upcycling est le nom du procédé de reconversion des habits utilisés ou des restes de découpe dans les ateliers, en nouvelles pièces d'habillement. Ce procédé a le bénéfice d'impacter l'ensemble des étapes du cycle de vie des pièces d'habillement produites : il déplace une partie de la production de matières premières et permet de réimporter une partie de la production dans des zones où l'électricité est moins intensive en CO2. Il améliore également le taux d'utilisation de la matière première produite en optimisant le taux de matière ou poids de matière utilisée par vêtement produit.

Réduire la production sans baisser la valeur : les nouveaux modèles d'affaires à impact de l'industrie de la mode et des vêtements.

Malgré les innovations apportées sur la chaîne de valeur pour améliorer les processus de production, au regard du poids du secteur de l'habillement dans les émissions carbone et des objectifs de réduction cibles pour maintenir la dérive climatique à des niveaux vivables (voir scénarios d'émissions du GIEC), la réduction de la consommation de vêtements est inéluctable.
Une importante partie de nos vêtements est portée moins de 10 fois avant d’être jetée, donnée, perdue ou revendue. Cette sous optimisation de la ressource produite amène à réfléchir pour permettre d'allonger cette métrique, pour revenir à des gardes robes plus raisonnées. Du point de vue de l'acheteur en boutique, la solution réside dans un comportement d'achat vers une qualité accrue mais une durabilité meilleure des produits, tout en valorisant la circularité des vêtements par les sites de seconde main ou le don.

Du point de vue des industriels et des enseignes, des chemins se dessinent pour élaborer des modèles d'affaires plus vertueux (avec la réserve qu’ils n’engendrent pas d’accroissement des achats de vêtements neufs via l’effet rebond généré par les économies réalisées) : pré-commande, abonnement et location de vêtements, revente des seconds-choix, recyclage / upcycling, etc. Toutes ces méthodes permettent de diminuer l'impact carbone unitaire, et peut être global si les budgets libérés sont réaloués. Cette réflexion de durabilité des produits représente alors une nouvelle opportunité pour les marques et sous traitants industriels qui pourront alors obtenir un avantage compétitif à communiquer au client final, et pourquoi pas même l'impacter dans les prix.

La mode et l'habillement doivent transformer leur business modèle

L’industrie de la mode devra se transformer pour répondre aux enjeux du climat. Si le bilan carbone de l’industrie est très important, Il existe de nombreuses méthodes et réservoirs d'efficacité énergétique et de matériaux permettant de diminuer les émissions de gaz à effet de serre provoquées. En conséquence, il est nécessaire de considérer un vêtement par sa consommation de ressource et ses externalités négatives, au-delà des considérations purement économiques.

Pour le consommateur, l'impact environnemental du produit commence à être un facteur d'achat. Néanmoins, pour permettre une concurrence dans un monde globalisé, il semble nécessaire que les pouvoirs publics appuient cette tendance en tenant compte des émissions de gaz à effet de serre importées dans la taxation des produits; de manière à refléter un prix équitable en ce qui concerne les considérations écologiques globale transfrontalières.    Par ailleurs, en sus du bilan carbone de l’industrie, les méthodes visant à produire une quantité inférieure de matières premières rendront possible la limitation de la destruction de la biodiversité causée par la fabrication de vêtements (micro-particules, eaux polluées, déforestation, etc…).